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J’ai dans le sous-sol un téléphone mural à cadran,
que j’ai installé près de l’atelier quand nous avons emménagé, il y a 40 ans , histoire d’entendre quand je bricolais..
L’autre jour, un gamin fils d’une amie, est resté figé devant ce truc qui ne me paraissait quand même pas extraordinaire..
et qui fonctionne toujours, eh ben si..
En fait c’est à ça qu’on se rend compte que l’on vieillit, notre quotidien devient de l’antiquité..
Nous sommes entourés de reliques qui n’offrent plus aucun intérêt.. sauf pour s’interloquer: « Mais .. comment faisiez vous »…
ou s’apitoyer: « Ahhh quand même.. ». Un téléphone à cadran.. pour composer Vaugirard 41 15.. ou Turbigo 18 22 eh oui..
Pourtant ces choses nous ont accompagnés.. ou furent des éléments utiles de tous les jours.
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Et j’ai repensé à un engin qui fut ma jeunesse, mon adolescence et mes débuts dans la vie active..
un truc que l’on trouvait dans tous les bistrots.. un machin bouffeur de pièces.. qu’il fallait partager..
pas rester collé dessus comme une bernique sur son rocher..
un truc dont les bruits faisaient partie intégrante du fond sonore du bistrot.. à tel point que son absence se faisait remarquer..
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L’odeur du café le matin… ou des croques le midi.. la fumée des clopes.. les bruits de voix.. les conversations mélangées..
bribes de vie au ballon de Gamay.. ou au blanc limé.. ça s’esclaffe.. rigole.. éclate ..
Et en fond… ces crépitements.. claquements.. tintements.. parfois suivis de hurlements ..
Dans les bons bistrots il y en avait plusieurs…
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Cette machine faisait partie de notre vie.. comme Eddy Mitchell et ses chaussettes noires ou Gene Vincent ou Bob Dylan..
rapprochait des potes dans une compétition amicale.. « It’s more fun to compete »!
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Une machine rutilante, des lumières partout.. le cliquetis.. l’image du fond.. des filles en maillot.. pulpeuses..
les champignons.. score… points.. bonus..
Il fallait d’abord poser la clope sur le bord.. le bout incandescent vers l’extérieur, mettre la pièce.. 20 centimes..
la bille de métal arrivait dans la goulotte..
la poignée avec le ressort.. là.. on remonte un peu le futal.. le même tic que Bogart dans ses films..
faut se concentrer.. les potes sont autour…
tirer sur la tige en écrasant le ressort est déterminant.. la bille va être projetée plus ou moins..
il faut qu’elle arrive là-haut au bon endroit..
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là où les petits bras mobiles des champignons vont pouvoir la catapulter .. vers les zones à maximum de gains .. les zones free bonus..
champignons à vachtement de points.. On tire doucement.. on dose.. lâchez tout.. la bille s’élance..
on écarte les pieds pour prendre possession de la machine..
il y a du charnel.. les majeurs de chaque cotés sur les poussoirs.. le ventre à peine appuyé sur le rebord..
la bille termine son arrondi et commence sa descente..
et là commence le numéro.. la prestation.. Il faut accompagner la bille.. la guider vers les points gagnants..
on se transforme en homme bille.. puis en bille..
Les points claquent au compteur là-haut en face.. on se déhanche.. tortille.. voire même on tente un léger coup sur la machine..
pas trop, juste de quoi modifier le destin.. on appuie le giron.. un petit coup.. là.. on tape..
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Attention à l’instant où trop remué.. tout s’éteint.. alors la bille descend tout droit vers la bouche moloch.. tapant dans les champignons morts..
une bille sans vie.. dans un champ désolé.. la bête est inanimée.. molle…
Mais là elle vit.. les points claquent.. arrivent les parties gratuites..
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Free bonus.. same player shoot again.. clac.. clac.. ça tombe.. ting ting.. les pieds raclent le sol où reste encore un peu de sciure du matin..
De temps en temps.. quand la bille est bien remontée.. une pause juste.. vite fait pour tirer une taffe..
Et on y retourne.. concentré.. les yeux rivés sur la bille argentée..
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Gare au malveillant qui sous prétexte de plaisanterie fine donne discrètement un coup de hanche..
Tilt… Clac tout s’éteint.. terminée la partie.. game over..
Là y a de quoi se la mettre au court bouillon.. c’est un truc à balancer une mandale…
Alors on se calme.. promettant une vengeance…
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« Tiens Roger s’te plait .. un Casa et un œuf dur.. merci.. ».
Hé, faut bien se requinquer..
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Ça c’est comme le moulin à café coincé entre les cuisses.. avec le tiroir du bon coté..
Ça a vécu..
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Ces machines ont été remplacées par des trucs électroniques.. pas de bruits.. de clac.. de rien.. du succédané.. de l’ersatz.. j’ai arrêté..
Je ne sais même pas si il y en a encore dans les rades…
Ça fait un moment que je n’ai pas été me faire un ou deux Casa avec des potes..
Serait-ce encore de mon âge…
Surement pas.. d’abord on ne peut plus cloper dans les estancos..
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Et puis ça fait 20 piges que je ne fume plus.. quant au Casa..
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Marc
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