C’était lors d’un retour d’Etel,
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nous étions arrivés en avance, comme d’habitude, à Lann Bihoué et nous attendions l’heure de l’enregistrement.
Pas grand monde comme d’usage, les mêmes revues sur la petite table, et l’œil qui vagabonde, examinant les gens, essayant d’y associer une histoire, un métier.. Sur les sièges à gauche, deux hommes, l’un âgé, l’autre son fils, sans doute.
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Tout de suite, le vieil homme me fit penser à mon père, sans doute la même génération, la casquette vissée sur le crane, blouson en gabardine, et des chaussures à grosses semelles, bien cirées, celles qui sont inusables, et qui ne sortent que très rarement du placard.. pour les occasions..
Pas très grand, ses mains à la peau fine comme du parchemin, encore fermes, tenaient une petite sacoche noire où il avait rangé ses papiers et son billet d’avion qu’il sortait, rangeait, ressortait en écoutant distraitement les rares propos de son fils.
Oui, il me faisait penser à mon père qui avait décidé d’arrêter de jouer à la vie quelques mois auparavant, et son image était encore tres présente..
Tout y était, la taille, la casquette, le blouson de gabardine beige aux poignets à boutons-pressions.. avec le petit rabat.. l’inséparable sacoche.. les chaussures..
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A l’heure dite, nous sommes descendus à la porte pour l’embarquement, rapidement rejoints par le vieil homme.. seul..
Il s’assit près de nous.. sortit son billet de sa sacoche, et me demanda si c’était bien là le vol pour Paris.. car précisa-t-il.. il allait à Marseille, voir un camarade de la guerre, qui n’allait pas très bien et qui souhaitait le revoir..
Je confirmai que c’était bien là..
Enhardi par mon sourire, et sans doute lut-il dans mes yeux quelque chose comme une bouffée de souvenirs et de tendresse.. il me confia qu’il s’inquiétait un peu car c’était son baptême de l’air.. et la correspondance pour le vol de Marseille le tracassait.. saurait-il trouver son chemin..
« Tu suivras les panneaux » lui avait dit son fils..
Je le confortai en lui assurant à peine une petite accélération au décollage, mais le temps étant beau, le vol serait sans secousses.
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Je gardai au fond de moi mes inquiétudes partagées pour la correspondance, imaginant mon père seul quatre vingt dix ans passés.. pour se dépatouiller des panneaux.. « Departure ».. « Hall ».. « Gate »..etc..
En grimpant la passerelle, je me suis présenté à l’hôtesse, comme il convient de le faire quand on est un « Passager Compagnie » et je lui parlai du baptême de l’air de mon nouvel ami.. Dédé.. m’avait-il confié.. et surtout lui fit part de mon souci pour la correspondance .. et si le Captain pouvait demander une assistance à Orly.. ce serait une aide précieuse..
En cours de vol, elle alla s’inquiéter de Dédé qui était quelques rangs derrière, et m’informa que le nécessaire avait été fait par le Captain, et qu’il serait accompagné pour la correspondance.
Rassuré, je regardais fréquemment le père Dédé qui profitait du paysage me faisant signe que tout allait bien.
A l’arrivée, j’ai salué notre ami, qui m’a remercié chaleureusement, et nous sommes descendus pour gagner la navette qui nous emmène au terminal.
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Au pied de l’avion, je vis mon ami Dédé, et un jeune avec son carton d’UM ** au cou qui attendaient, en compagnie de l’hôtesse et du chef de cabine, le minibus et le personnel aéroport chargé de l’accompagnement.
La navette arrivée, la discussion me parut longue et de mauvais augure.. Et au final, je vis rappliquer Dédé et l’hôtesse…
Arrivés près de nous elle me lâcha courroucée : « Ils ne veulent pas s’en occuper.. il aurait fallu prévenir plus tôt.. et moi je.. moi.. »
« Bon, je vais m’en occuper.. » dis-je.
Voyant que je partageai le problème elle précisa : « Ben je n’ai pas trop le temps .. je dois aller chercher ma fille.. mais je vous guide jusqu’au comptoir.. ».
Le car roulait et Dédé avait bien perçu le problème et nous regardait alternativement l’un et l’autre.. un peu perdu..
Nous répondions par des sourires ponctués de : « pas de problème..ça va aller.. on vous guide..»
Mais je sentais bien son angoisse grandir.. le pauvre se confondait en remerciements..
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Arrivés au terminal, j’ai pris le bras de Dédé et nous avons essayé de suivre la jeune femme, aussi vite que nous pouvions.. elle marchait d’un pas décidé.. le pas de celles qui savent où elles vont..
Et Dédé qui maintenant un peu plus pesant à mon bras.. répétait : « Quel monde.. j’auras pas trouvé.. j’aurais pas trouvé.. »
Nous frayant le passage, nous sommes arrivés au bureau où Aéroport de Paris gère les accompagnements .. elle s’est excusée de ne pouvoir rester et m’a assuré qu’elle me reconnaitrait à coup sûr.. si sur un prochain vol..
Dédé était cramponné à moi, comme un naufragé, sa main me serrait le bras.. j’ai expliqué au guichet notre affaire et la dame a assuré prendre Dédé en charge.. j’ai commencé à lui expliquer que tout était réglé.. et qu’on allait l’accompagner..
« Vous partez..vous me laissez.. » il s’est jeté dans mes bras.. et s’est mis à pleurer.. J’ai cru un instant qu’il allait faire un malaise.. la dame du guichet essayait de la rassurer.. Mais, il s’est ressaisi.. « Je ne vous oublierai pas » murmura-t-il.. « Jamais.. je n’oubliera jamais ce que vous avez fait.. »
J’étais ému.. le passé revenait avec le présent.. il était si léger si fragile dans mes bras.. Il a tenu à ce que nous échangions nos téléphones..nos noms..
« Marc.. oui..je n’oublierai jamais.. je vous appellerai.. »
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Je suis parti en le serrant encore une fois très fort.. Les semaines ont passé, je n’ai pas eu d’appel.. alors c’est moi qui….
« Ah oui.. oui.. » comme on se souvient d’un épisode terrible.. « j’ai été très malade au retour.. à l’hôpital.. je vous rappellerai quand j’irai mieux.. »
Il n’a jamais rappelé.. je n’ai jamais revu la jeune femme blonde de BRITAIR.. (c’est vrai qu’il y a peu de chance..)
En ce jour de printemps.. juste une tranche de vie..
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Un proverbe dit : « On devient un homme..quand on devient le père de son père.. ».
An amzer a dro An Ankou a sko
(Le temps passe, l’Ankou frappe)
* bien sûr de son vrai nom.. Dédé ne s’appelle pas Dédé.. et il n’allait pas à Marseille..
** UM : Unaccompanied Minor
Marc
Mais Marc était le vrai Marc ! Merci pour cette belle histoire qui fait chaud au coeur . Heureusement, il existe encore des personnes qui se soucient de leur prochain .
Bizzz à partager avec Mo .
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Oui, Marc est le vrai Marc. J’en témoigne.
Bises
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quelle magnifique histoire !!! nos seniors (dont je ferai bientôt partie) sont tellement perdus dans notre monde d’aujourd’hui !!! il était courageux DD il était parti voir son pote coûte que coûte !!! Merci Marc.
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On ne sait pas trop ce que Dédé est devenu, après ça…
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Marc transformé en ange gardien…
J’aime beaucoup la phrase : » il me faisait penser à mon père qui avait décidé d’arrêter de jouer à la vie quelques mois auparavant »
Mon amie de 83 ans ne prend plus le train car elle ne voit plus ce qu’il y a d’écrit sur les panneaux d’affichage des départs arrivées, n° de quai, destination. Elle conduisait encore cet été en ne pouvant plus tourner la tête de droite à gauche et inversement (arthrose) ; ça craint !…
Comment va-t-on vieillir nous ???…..
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Tu poses de ces questions, toi… On verra bien. Qui vivra verra (et qui ne vivra plus ne verra plus..)
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Quelle émotion j’ai ressentie en lisant ton billet que j’avais les larmes à l’œil et c’est vrai. C’est un beau moment de partage, de solidarité et d’amour aussi envers l’autre.
Merci pour lui, merci pour nous .
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Sèche tes larmes, Tout va bien maintenant… 😉
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Une fois on a fait la même chose à New York avec une légère handicapée mentale, qui prenait la même correspondance. On était un peu short, avec deux km de couloirs (il y avait des travaux). Tout s’est bien terminé à 5 minutes près.
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Il faut parfois s’entraider… Que serons-nous plus tard?
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Je relis, c’est beau !
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Merci à toi.
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hello , hello !
je trouve ton histoire formidable !
Si tu n’avais pas le coeur sur la main ,
jamais « dédé » n’aurait trouvé son chemin ,
et même si le vieil homme avait su quel chemin prendre ,
il n’aurait probablement pas pu atteindre le lieu en question sans ton aide !
C’est bizarre qu’il est rompu le contact !
car comme on dit » Dieu te le rendra » , si tu fais le Bien autour de toi , tu es un Saint
ou tu avais vraiment beaucoup d’attente à l’aéroport ! 🙂
et même si , tu fais partie des rares personnes qui se préoccupent du sort des autres !
tu es quelqu’un d’exceptionnel !
see you soon , Tchao Bye !heureuse d’être ton amie !
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On ne sait pas ce que Dédé est devenu, en fait… Qui sait?
Bonne soirée à toi!
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super il devait etre rassuré bravo
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Oui, il avait l’air d’aller bien quand on l’a quitté.
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Une histoire émouvante …
Dédé se souviendra de son aventure et toi aussi 🙂
Bon dimanche Marc
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Bonne semaine à toi, Valentyne.
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Alors, vous prenez l’avion pour vous rendre à Etel? Je trouvais que c’était bien loin pour y aller si souvent en voiture.
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Oui, on prend l’avion. Globalement, porte à porte, on gagne un peu de temps avec la solution avion, mais surtout, on économise de la fatigue.
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Toujours ce talent de nous compter les « petites choses de la vie » – et ce monde qui va vite, jamais à taille humaine, reste les bonnes âmes … pour donner du temps au temps.
Joli proverbe, aussi !
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Bonjour, l’Ornitho. Je suis certaine que toi aussi tu es quelqu’un de gentil.
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Pas faux … j’espère.
Restez attentif aux gens … sinon, alors comment vivre en société..?
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Une tranche après l’autre, de ces belles tranches qui sont autant de petits bonheurs…
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La vie de Marc en rondelles?
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Déjà que quand on est pas trop âgé on se perd dans ces aéroports labyrinthes 🙄 quel courage avait ce vieux monsieur d’oser y aller tout seul et quelle chance il a eu de trouver sur sa route ton Marc si dévoué ….
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Moi-même, j’aurais du mal toute seule. J’ai pris l’habitude de me fier à Marc pour le trajet (je suis une belle fainéante… 😉 )
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Je lis toujours tes histoires jusqu’au bout sans m’ennuyer cela veut dire que c’est bien écrit et que le sujet est passionnant .
Bises
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Merci pour lui pour ce compliment tout simple et sincère.
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Un joli récit. Oui, il arrive qu’on vive des moments forts avec des inconnus, et là on pense qu’un lien durable s’est tissé. C’est sûre, on va se rappeler, on va se revoir… Puis, rien. Et alors? L’important c’est d’avoir vécu le moment!
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Mais sur le moment, on y croit toujours…
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Belle histoire. Je vivais les angoisses de Dédé, en te lisant. Dure la vie quand on vieillit trop loin…
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Oui, c’est un peu ce qu’on s’est dit. vieillir est une mauvaise idée… 😉
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Émouvante histoire; c’est juste dommage que ce ne soit pas lui qui ait appelé.
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Eh oui…
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Une tranche de vie comme je m’en régale!
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On en d’autres au frigo! 😉
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Bien car j’ai bon appétit!!! 😉
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qui va doucement va longtemps !
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Cela me dit quelque chose… 😉
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