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Je devais avoir une quinzaine d’années quand j’ai connu le grand frisson,
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non, je rassure, il ne s’agit pas de ce que vous pensez, mais le frisson du chasseur de grand fauve, de la traque, de l’animal qui charge, le cœur qui s’accélère.. cette fois.. c’est lui ou moi..
Et puis le cœur qui bat.. devant la dépouille pantelante du fauve. .
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Nous habitions un pavillon de banlieue, avec une cave.. une cave bien enterrée du genre de celle où on se fracasse le front quand on y entre si on ne pense pas à se faire humble.. ma mère y mettait le linge à sécher les jours de pluie, car il y avait dans cette cave la grosse chaudière qu’il fallait secouer et alimenter tous les jours.. non pas avec de la tête de moineau..
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mais du gros, du mastard, celui qui pèse une tonne au bout de la pelle à charbon.. celle avec la poignée au bout du manche.. le réseau de gros tuyaux en fonte prodiguait une douce chaleur et permettait le séchage du linge.. c’est vrai que le calfeutrage des tuyaux.. à cette époque..
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Cette cave, outre l’énorme tas de charbon, permettait, dans la partie voisine, de stocker les pommes de terre bien étalées sur des planches. . pommes de terre qu’il fallait dégermer régulièrement.. un garde manger grillagé où on stockait les produits frais l’été et un casier à bouteilles où quelques bouteilles trônaient le cul en l’air attendait l’occasion .. bref.. une cave..
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Une cave qui s’est attiré la sympathie d’un hôte .. que nous n’avions pas invité..
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Un rat.. ou une famille de rats.. va savoir.. toujours est il que, dès cet intrus détecté, ma mère refusa de descendre à la cave sans être accompagnée d’un garde du corps.. moi.. j’étais donc de corvée pour alimenter la chaudière le soir mais également pour toute opération nécessitant une descente à la cave : chercher une boite de conserve, des pommes de terre ou autres..
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Mon père avait décidé d’éradiquer par des méthodes plus brutales : graines empoisonnées, tapettes et même une nasse.. il préparait ses pièges avec un soin extrême, limant le blocage de la tapette afin d’en accroitre la sensibilité.. une plume aurait déclenché le ressort.. il en fit lui-même ou plutôt ses doigts en firent plusieurs fois le constat..
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Mais sa démarche se fit aussi plus prospective.. il se mit en quête de trouver les orifices de passage.. clouant par çi par là.. et il se baladait avec son couteau à mastic et sa boite de conserve pleine de plâtre à modeler.. cherchant LE TROU, l’issue, le défaut de notre inexpugnable donjon.. Régulièrement il remontait triomphant, annonçant « Cette fois, j’ai trouvé le trou ! ».
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Ma mère reprenait confiance, redescendait de nouveau seule à la cave.. et un hurlement..un cri d’effroi.. il était toujours là.. lui ou son frère.. nous reprenions nos rituels.. et la cohabitation s’était organisée..
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Un matin, ma mère remonte de la cave.. et me dit d’une voix blanche.. « J’ai vu le rat.. il est sur les pommes de terre.. »
En tant qu’homme de la maison, je me devais d’intervenir.. je descend à la cave.. au passage près de la porte.. j’alpague un râteau.. suivi da ma mère flageolante.. chanstiquant sur ses fumerons aurait dit mon grand père..
Tel Hondo l’homme du désert (mon héros de l’époque..) ou Blek le Roc, je passe doucement.. la première partie de la cave.. arrive dans la deuxième pièce..et sur le tas de pétotes.. le rat.. immobile..
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Mais un rat.. à ficher les flubes à un greffier.. un mahousse.. encore pire que ça..
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Ma mère, en bonne mère, me chuchotait : « N’y vas pas Marc.. n’y vas pas.. je vais chercher le père Bouvier.. ».. le père Bouvier était un brave homme de voisin.. personnage jovial.. jardinier de son état pour compléter sa maigre retraite. . toujours prêt à dépanner.. aider.. rafistoler.. et qui à l’occasion venait porter un bouquet de fleurs à ma mère.. sachant qu’elle lui offrirait un coup à boire..
Quand il s’y mettait.. au deuxième ou troisième verre.. il nous racontait son passé de spahi.. le désert.. la soif.. sans doute y-avait-il un lien avec sa soif permanente.. en un mot.. un brave homme..
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En effet.. un spahi.. un bad d’af.. c’est quand même précieux pour affronter un lion de l’atlas..
pardon.. un rat..
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Et revoilà l’équipe au complet qui de nouveau descend à la cave.. en tête, le père Bouvier avec son sabre de spahi au clair…. suivi de votre serviteur et son râteau.. suivi à bonne distance de ma mère.. suivie en couverture de madame Bouvier..
Le rat était toujours là.. énorme .. majestueux..
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« On dirait qu’il est mort » annonce le père Bouvier.. progressant doucement.. afin de vérifier.. il avance la pointe de son sabre jusqu’au flanc de l’animal..qui ne bouge toujours pas.. il s’enhardit et pique.. façon.. je t’embroche Gonzague..
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Le rat.. sans doute réveillé en sursaut ou je ne sais quoi.. fait un bond fantastique et se met à courir partout.. sur le mur.. sur les patates.. vers le casier à bouteilles. . le père Bouvier retrouvant sa jeunesse passée se met à faire des moulinets avec son espadon.. escoffiant quelques bouteillers au passage.. sabrant les pommes de terre.. frappant de taille et d’estoc.. tout ca en vain.. car le bestiau.. cavalait dans tous les sens..
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Jusqu’au moment où avisant la sortie.. il se précipite vers moi..moustaches au vent .. crocs écumants.. n’écoutant que mon courage .. loin de fuir.. je vise l’animal qui me charge.. calcule mon coup et tel Ivanohé.. j’abats mon râteau sur le rat.. la bestiole est coincée entre deux dents. . gigote.. se tortille..
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Le père Bouvier qui entre temps a cassé son sabre sur le panier à bouteilles achève l’agonie du fauve.. tel Tony Curtis zigouillant Kirk Douglas avec son bout d’épée dans les Vikings ( pauvre Ragnar..) et nous sortons triomphants.. César dans Rome.. le monstre pendouillant entre les pointes du rateau ..
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Les yeux de ma mère furent ma plus belle récompense.. j’étais son homme.. son héros..La bête était balèze.. passés ces moments d’émotion.. Paris outragé.. mais Paris libéré..
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J’ai du aller faire un trou dans le jardin pour enterrer le rat..
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Fin de l’acte ..
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Epilogue
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Ma sœur rentrant de l’école à midi.. fut évidemment mise au courant de mon exploit.. un monstre.. un rat King Kong.. la bête du Gévaudan.. et elle me demanda de le déterrer.. elle voulait voir la bête.. devant le cœur des femmes..et pas peu fier..je le confesse… je dus m’exécuter.. je suis retourné dans le jardin.. et j’ai exhibé mon trophée.. ce fus mon jour de héros.. certes..
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Depuis j’en ai connu d’autres. . quand j’ai répare des trucs en panne..ou débouché des éviers ou des WC.. tous ces actes héroïques du quotidien que nous les hommes nous accomplissons.. notre bricolage anonyme.. ces gestes où on se fait ch..r pendant une heure pour un truc qui n’a l’air de rien…
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Mais bon.. un sourire de vous Mesdames. un mot.. c’est notre récompense..
Mais ce jour là.. ce jour là.. reste quand même mon arc de triomphe..
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Marc
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Coucou
J’étais accrochée à ton texte me demandant ce qu’il allait advenir de cette bestiole. Et voilà, ce qui devait arriver, arriva. Alors avec un peu de retard je crois, je t’adresse toutes mes félicitations.
Bisous
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« Un peu de retard », tu as le sens de l’euphémisme… cela date de plus de 50 ans… 😉
Bises
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Superbe récit !
Ce fut le jour de gloire effectivement, jour qui visiblement est resté gravé dans la mémoire et je le comprends
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Cela marque un ado, semble-t-il… 😉
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je me demandais bien ou tu voulais en venir avec lui ou toi .. mdrr c’est tenir ton monde en haleine
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N’est-ce pas?
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Ce combat m’a tenu en haleine. Quel acte de courage! Et dire qu’on donne la légion d’honneur à des gens qui n’ont jamais rien fait; même pas une moche…tsé-tsé!
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C’est là qu’on voit qu’il est des actes héroïques bien méconnus…
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Une mouche, disais-je
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Remarque, on peut la trouver moche, la tsé-tsé…
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Belle histoire ! Et si bien narrée 🙂
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Merci à toi!
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Bien raconter
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Merci Jack.
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Happy end then ! (enfin, pas pour tout le monde 😀 ) La vie des banlieues est définitivement dangereuse 😉
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Certes, certes, mais pour qui? 😉
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Finalement, votre mère était bien courageuse, parce que moi, je n’aurais pas pu assister à cette chasse 😦 Bravo au guerrier!
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Il n’y a pas de rats à la Réunion?
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Quel combat rigolo sauf pour le gaspard ( je savais pas que c’était un rat en argot ) et Marc, le héros, a été chevaleresque en enterrant la bête dans le jardin, d’autres l’auraient jetée à la poubelle …
En tout cas les rats des villes beurk ! j’en ai vu quelquefois et j’ai pas fait la maligne ! ils font peur …
Je me suis bien marrée sur ce récit 😉
et le père Bouvier qui casse tout 😀
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Tu as raison d’en avoir peur. Quand ils se sentent acculés, ils attaquent. Les rats des champs sont moins méchants?
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un rat portugais a essayé de me sauter dessus un jour : il était dans un bateau et je lui ai jeté un tout petit gravillon pas pour lui faire mal mais pour voir sa réaction ! ben faut pas les emmerder …
les rats des champs sont plus tranquillous comme plupart la des hommes des champs , c’est la dureté de la ville qui rend méchant, certains hommes comme les rats …
l’est mimi celui ci non ?
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Tu es sûre que c’est un rat? par rapport aux photos de rats que j’ai vues, je lui trouve plutôt un air de souris ou de mulot avec ses oreilles bien rondes et son corps plutôt petit par rapport à sa tête… Mais je ne suis pas experte en rongeurs et ils sont tous de la même famille…
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C’est un mulot. Ils peuvent mourir de peur s’ils sont surpris. 🙂
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Dans ma petite vie, j’ai adopté 2 rats…
Artane et Ratintin… Hyper affectueux…
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Des rats apprivoisés? Je sais qu’il y en a. On ne peut plus les considérer comme des animaux sauvages, ceux-là.
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Quelle histoire ! Et si bien raconté et bien que mon nom soit cité, je n’ai rien à voir la dedans.
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Marc est désolé, en plus, le vrai nom a été remplacé par un nom pris au hasard. Le hasard est bizarre, parfois! 😉
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C’est ce qu’on appelle rat-conter … jamais de rat-le-bol (hé!) de le lire.
Sinon, qu’est-ce qui est le plus grave : Un rat dans la cave ou une araignée dans le plafond ? 🙂 (on m’a sommé de rester jeune , donc … merci!)
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Et tant pis pour le qu’en dit rat on (Na!)
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Pourquoi? Nous ne sommes pas des scélé-rats!!!
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🙂 of course not !
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Un récit épique qui me rappelle plein de souvenirs de caves voutées. J’espère que le père Bouvier a posé, un pied sur le rat, et sabre à la main, malgré qu’il se soit fait prendre de vitesse par un râteau. Les patates à dégermer, j’ai eu un souvenir proustien ; c’était la même chose chez ma grand mère à la campagne. Pour les rats je n’en ai vu qu’à Paris quand je descendais la poubelle (c’était un immeuble du XIXe siècle sans vide-ordure). La nuit, le concierge se mettait parfois sur un muret au dessus de la cour intérieure, avec un 22 long rifle pour tirer sur les rats. Entre les rats et le 22 long rifle, j’ai réussi à survivre.
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Pour l’instant, dans notre banlieue, nous n’avons pas de rats dans la maison ni dans la cave. On a vu des crottes dans la cabane de jardin mais on a mis des graines empoisonnées (c’est moins glorieux que le sabre ou le râteau mais ça marche aussi) et on n’a plus vu de crottes.
j’ai trouvé, toujours dans la cabane de jardin, à la sortie d’un hiver une souris toute raide dans une boîte d’engrais (elle avait de drôles de goûts).
Et une fois, des crottes de souris dans le cellier près de boîtes de farines dont le fond était rongé : le crime était signé.
Et une musaraigne ou une toute petite souris dehors près du bassin.
Mais dans l’ensemble, ça va. Nous n’avons pas encore investi dans un 22 long rifle. 😉
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Lorsque nous sommes arrivés à la campagne dans une maison inhabitée depuis un certain nombre d’années, nous l’avons trouvée occupée par des rats. Nous nous en sommes débarrassés à l’aide d’une nasse.
Les grains empoisonnés, si efficaces, sont maintenant interdits à la vente, car dangereux. Ils sont remplacés par des grains imbibés de produits qui rendent les rongeurs hémophiles. C’est seulement efficace s’ils se blessent.
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Je ne sais plus depuis combien de temps on avait ces grains empoisonnés. Mais donc, il y a divers moyens de se débarrasser des rats c’est le principal…
A propos, ces produits qui rendent les rongeurs hémophiles ne sont pas dangereux pour nous, ceux-là?
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Ma réponse n’est pas apparue.
Les grains sont vendus dans de petits sachets qu’il ne faut pas toucher. Les rongeurs se débrouillent pour les ouvrir. C’est surement dangereux pour l’homme aussi.
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Merci pour cette info.
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J’adore lire tes récits de faits réels , c’est bien écrit et on ne s’ennuie pas .
Moi ici j’ai des souris qui mangent les sacs en plastique et tout ce qui n’est pas enfermé et les tapettes ne fonctionnent pas toujours et Alain ne veut pas que je mette du souricide .
PS : Pour les fruits du Goyavier du Brésil je n’ai jamais eu de fruits et je n’en ai jamais mangés non plus il paraît qu’il faut deux pieds et il y a des variétés auto-fertiles .
Bises
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Marc me signale qu’il y a un truc qui marche très bien : les plaques enduites de glu avec quelques graines dessus comme appât.
Mais après, bien sûr, il faut tuer l’animal aux pattes collées… Faut pas être sensible…
Bises,
Mo
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Ou comment donner une dimension épique à un duel entre l’homme et le rat ou le gaspard, surnom que je ne connaissais pas. On est pris du début à la fin par ce texte très imagé, bien écrit, un régal de lecture. J’en veux bien d’autres !
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Merci Nico, je vais tâcher de convaincre Marc 😉
Mo
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Bonjour à vous ravie de vous retrouver! je retourne me promener dans votre jardin extraordinaire avec bonheur. Louveresse
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