Je n’avais pas encore quinze ans.. et je n’avais aucun diplôme..
pas même mon certif comme me le répétaient mes parents..
Ma mère.. elle est l’avait eu son certif.. et puis premier prix du Canton en « enseignement ménager ».. pas peu fière ma Maman…
Bon tout ça c’était histoire de dire car là dessus ils ont fait ce qu’ils pouvaient pour que je puisse faire ma scolarité.. dans l’établissement où j’étais, en 6ème, ils ne faisaient pas passer le certif.. c’était direct la lune.. en 3eme..le brevet.. ensuite, ensuite.. là.. c’était la porte ouverte sur le boulot.. ou alors.. le bac et puis une école.. donc en 1960.. ce fût mon premier examen exception faite du concours d’entrée en 6ème. En tout cas.. je devais avoir un diplôme officiel.
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C’était en juin et l’endroit choisi était un établissement rue Geoffroy l’Asnier dans le 4ème à Paris.. pas compliqué.. le dur jusqu’à la Bastoche avec les potes.. puis le métro.. on avait potassé tout ça, mais en bons banlieusards, tout cela n’était que routine pour nous..
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Sauf qu’en juin 60.. y’avait du mouvement social.. ça merdouillait.. je ne sais plus pourquoi.. ni par qui mais le jour de l’examen c’était le bazar dans le métro.. les rames passaient au compte-gouttes et je me souviens que quand nous réussîmes à monter dans notre wagon.. en poussant, forçant.. dans le wagon d’à côté un gros bruit de verre et des cris.. une vitre avait pété sous la pression des gens.. c’était vrai que dans le métro quand ça pousse ça pousse.. ça tasse.. là y’a pas de question de distance de promiscuité ou de contact admissible ou non.. là.. tu mixes. tu agglutines.. tu compactes.. bref c’était le bordel.. d’ailleurs ce fut le bordel toute la journée..
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En arrivant à ce collège nous étions passés devant un édifice « le mémorial du martyr juif inconnu ».. je connaissais le soldat inconnu à l’arc de Triomphe.. mais ça c’était inconnu de moi, je savais ce que ces malheureux avaient eu à subir durant la guerre.. ma mère m’avait raconté les mecs en imper et en chapeau.. les rafles, les cris, les gens qui pillaient les appartements désertés.. le Veld’hiv, Drancy.. les camps oui je connaissais.. mais j’ignorais tout de ce mémorial..
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En fait cette journée fut particulière.. et Mnémosyne la muse de l’histoire a dû décider qu’elle s’imprimerait en moi..
Je me souviens de ce jour pour deux événements..
d’abord l’épreuve d’histoire.. merci Mnémo (nous sommes intimes) le sujet : les Etats généraux de 1789..
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Et notre vieux prof d’histoire qui enseignait selon la chronologie avait arrêté son ronronnement à la guerre de succession d’Autriche.. j’étais fait.. coincé comme un tacaud dans la vase.. terminé le brevet.. l’échec.. j’en ressentais une telle injustice.. un tel sentiment.. que je me révoltais.. oui.. ce fut le jour où au lieu de plier sous la férule de l’Education Nationale.. lourd de son passé.. Charlemagne.. Ferry.. au lieu d’essayer de remembrer mes souvenirs de l’école primaire.. faire à minima, sauver les meubles.. guetter un petit 6 ou 8.. gagne petit.. J’écrivis rageusement sur la première ligne.. sur la page spéciale.. celle où on inscrit son nom dans l’angle.. qu’on replie et qu’on colle, j’écrivis et je m’en souviens encore:
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« Convoqués en 1789.. les derniers états généraux s’étaient réunis précédemment en 1614 après la mort en 1610 du roi Henri IV, mais je ne peux en dire plus car notre professeur s’est arrêté à la fin de la guerre de succession d’Autriche en 1748 ».
La rage m’étreignait, j’avais signé mon arrêt de mort.. mon échec.. mais au moins j’aurai écrit que je n’y étais pour rien.. j’avais balancé l’éducation nationale et son professeur qui avait glandé en chemin..
Je me suis levé.. j’ai déposé ma feuille sur le bureau du surveillant qui a jeté un coup d’œil..
-« déjà..? » me balança-t-il avec le sourire sadique du gars qui sait que c’est foiré..
-« oui.. » ai-je répondu sèchement..
Je me suis retrouvé dans la cour.. il faisait soleil.. j’avais les tripes nouées.. les larmes prêtes.. mais la rage.. la rage.. je franchis la grande porte.. dehors, une foule immense attendait.. un magma humain.. des têtes avec chapeau.. des têtes sans chapeaux.. des mecs avec des appareils photos..
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Qué bazar encore.. comment vais je passer.. et puis le murmure se fit plus précis.. « c’est Ben Gourion.. c’est Ben Gourion.. »
Mnémo me refaisait un signe..
eh oui ce jour là c’était la visite officielle du fondateur d’Israël.. à l’époque je ne savais pas précisément ..mais je savais que c’était une page d’histoire comme Churchill, ou de Gaulle ..
La foule se contracta.. bougea comme un être vivant.. et au milieu de tous ces couvre-chefs sombres.. je vis une masse de cheveux blancs.. qui se dirigeait vers le mémorial.. Il était entouré.. encerclé.. mais je ne voyais que ses cheveux.. comme un point blanc.. un repère.. la foule se pressant, je pus rejoindre la rue de l’hôtel de Ville pour retourner à la Bastille prendre mon train…
J’avais mes pensées qui se bousculaient « j’ai vu Ben Gourion.. merde.. quand même j’ai vu Ben Gourion.. j’ai loupé mon brevet.. merde.. que va dire Papa.. et Maman ça va lui faire de la peine. »
Je suis rentré à la maison.. Ma mère m’a demandé comme toujours dans ces circonstances.. « alors..? ça a été…? »
j’ai répondu..
– « boaf.. j’aime mieux rien dire.. tiens, y’avait Ben Gourion .. »
– « ah oui ils en ont parlé au poste. »
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J’aurais voulu lui dire.. qu’elle me trouve les mots qui font du bien comme savent faire les Mamans.. mais j’ai rien dit.. gardé mon secret.. c’était foiré.. cagué..
Les résultats sont arrivés.. l’enveloppe.. la petite lueur qui restait.. un petit espoir.. et la lumière.. j’avais mon brevet!
Mnémo avait dû demander à Zeus.. (Jupiter, c’est pour après..).
Ensuite j’en ai passé des exams.. j’en ai loupés.. repassés… réussis.. avec mention… mais y’avait personne.
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La fois ou j’ai approché Jeanne Moreau qui tournait Mata Hari à la Bastille.. c’était un jour tranquille.. je revenais de l’école.. à Clichy…
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Eh oui.. Mnémo n’était venue que ce jour là.. en juin 1960
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Marc
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