Elle s’appelait Evelyne…   81 comments

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C’était notre voisine .

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Avec son époux, ils s’étaient installés dans le petit pavillon en face du notre.

Ils avaient remplacé Mémère Boulin, cette vieille dame, vosgienne d’origine, qui me gardait les après-midi où ma mère allait voir sa mère mourante à l’hôpital,

et qui était devenue ma grand-mère de substitution,

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allant même jusqu’à me sortir son dentier quand je lui demandais « Mémère Boulin fais voir tes dents« ..

Et puis Mémère Boulin est partie rejoindre ma grand-mère.. là haut dans les nuages.. deux grand-mères qui veillaient sur moi..

Le pavillon ne resta pas vide longtemps.. Evelyne et Roland…

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Evelyne travaillait aux Halles,  au pavillon de la marée.. une poissarde comme on dit.

Elle n’avait pas été baptisée avec une queue de morue, mais elle avait bien la dalle en pente.

Sa voix un peu éraillée par le tabac, n’avait rien d’une voix de harengère, elle parlait doucement, avec une chaleur dans la voix, qui laissait percevoir toute la tendresse dont elle était capable.

Comme disait le grand Jacques, un cœur si grand qu’on y entre sans frapper.

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Un cœur si grand qu’en ce fameux défilé du 14 juillet où Léon Zitrone nous annonça que c’était la dernière fois qu’on verrait les goumiers juchés sur leur dromadaire et que l’avenir de ces bêtes était incertain, elle se mis en tête d’en installer un dans son jardin.

Ce fut pour son époux une terrible épreuve de l’en dissuader.

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Ils avaient investi dans un appareil de télévision, un meuble énorme avec un écran guère plus grand qu’une carte postale, et nous étions invités mes parents, ma sœur et moi chaque semaine pour suivre la piste aux étoiles.. qui n’était pas encore animée par Roger Lanzac.

Le 14 juillet, nous avions droit au défilé.

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Elle nous faisait des poires cuites, des poires au vin et au sucre, que nous dégustions en nous écarquillant les yeux, pour suivre le spectacle sur cet écran au contraste si violent que nous en ressortions les yeux rouges et douloureux.

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Sa vie était rude, elle partait seule très tôt le matin, le premier train vers quatre ou cinq heures pour arriver aux Halles.

Un soir de cirque, en préambule, sa coupe de poires au vin à la main, elle nous raconta en riant son aventure des jours précédents.

Bien sûr elle fit des efforts pour employer des mots incompréhensibles pour les enfants, mais si ma sœur ne comprit pas tout.. moi par contre..

Elle se mit à parler : « C’était un matin comme tous les autres matins.. avant-hier, tenez.. oui c’est ça avant-hier.. il faisait froid.. nuit.. »

Elle arrivait à pied, pas loin de la gare, dans la rue bordée d’arbres qui occultent la lumière.. l’éclairage se bornant à des taches de lumières, au rythme des plantations..

Elle avait presque atteint la gare.. là où c’est bien plus éclairé:  « Ben oui.. presque à la boucherie.. », boutique qui marque l’arrivée à la place de la gare..

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Quand un mec en imperméable, sortit brusquement de derrière un arbre, et ouvrant son vêtement, les bras en croix.. le pantalon à moitié baissé..

Il lui présente son engin.. et voila le gonze.. flamberge au vent qui commence à lui vanter la marchandise lui promettant des moments de grâce comme dirait..

« Ahh j’en suis restée toute surprise… »

Hélas pour lui.. il était tombé sur Evelyne, déjà par nature dotée d’un fort gabarit et travaillant aux Halles.. les plaisanteries salaces ou les promesses en dessous de la ceinture, elle connaissait..

J’entends encore ma pauvre Maman angoissée lui demandant.. « Mais, mais.. qu’avez-vous.. qu’avez-vous.. »

Elle s’imaginait dans une telle situation la pauvre..  terrorisée à la pensée d’une telle avanie..

Mais Evelyne.. Evelyne..  elle laissa éclater un grand rire.. et lâcha « qu’elle en avait vu des plus grosses.. »  arrêtant net la diatribe du gars.. tout en mettant en doute ses compétences..  elle fouilla dans son sac..

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en extirpa une petite matraque et lui balança « un coup de goumi sur la calbombe… »

Que « le gars faut bien l’avouer digéra mal.. » précisa t elle, « il chanstiqua sur ses fumerons .. et s’affala les bras en croix le grimpant sur les ribouis.. les miches à l’air.. calmé le gonze.. »

« J’ai même pas loupé mon dur » ajouta Evelyne en terminant son fond de vin …

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Vous en voulez une petite goutte.. ??.. ben du vin quoi… !! »

Mes parents étaient figés.. mon père lâcha  « Ah ben ça .. moi.. ah ça, vous avez bien fait.. »

Ma mère était dans ses pensées.. et moi, je faisais comme si je n’avais pas tout compris…

« Ah le con » conclut-elle en se versant une bonne rasade de jaja…

Evelyne a rejoint dans les nuages les gens qui sèment des petits cailloux sur le sentier de mon existence..

J’ai souvent pensé à elle quand je rentrais le soir tard à la maison.. et que la rue n’avait pas plus été éclairée..

Quand même, fallait en avoir.. sacrée bonne femme..

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Allez Evelyne, à la tienne… !!

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Marc

PS : pour ceux qui ne parlent pas couramment cette noble et ancienne langue de chez moi qu’est l’argot :

être baptisé avec une queue de morue : avoir toujours soif

chanstiqua sur ses fumerons : vacilla sur ses jambes

un coup de goumi sur la calbombe : un coup de matraque sur la tête

grimpant : pantalon

ribouis : pieds

dur : train

 

 

Publié 14 Mai 2018 par Leodamgan dans Non classé, Prose à Marc

81 réponses à “Elle s’appelait Evelyne…

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  1. Je r’prendrais bien une rasade de ce jaja-là, alors si t’as d’autres petits cailloux comme celui-ci, n’hésite pas !
    Belle évocation – merci.

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  2. Des souvenirs très affectueux et souriants. J’ai beaucoup aimé tous ces termes inconnus ainsi que d’autres. Merci pour ton histoire très imagée 🙂

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  3. ah oui là je me suis faire prendre par ton récit !! trop bien trouvé ! et … une belle histoire qui paraissait triste au départ hi hi belle semaine A +

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  4. Merci pour cette histoire et pour le lexique qui éclaire certains passages.
    Bizz à partager

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  5. quel régal de lecture ! Je crois que vous allez avoir droit à ma prochaine revue de Caphys les amis. Celle-ci doit reprendre d’ici peu mais je suis complètement débordé par les travaux sur Port-Louis
    PS : on aurait besoin de vos conseils concernant le jardin. On se fixe un RDV ?

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  6. Nos grands-mères n’avaient pas la vie facile, ils ont travaillée dure sans vraiment de reconnaissance de la société sauf des enfants qui soit de la famille ou non qui gardent des souvenirs inoubliables …

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  7. j’étais un peu tristounette de voir la pluie tomber à »vache qui pisse » sur mon jardin mais votre histoire m’a bien fait rire .Merci

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  8. Beaucoup de plaisir à lire ces souvenirs si bien écrits. Merci. Belle semaine.

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    Martine Martin-Cosquer
  9. Des souvenirs évoqués qui suscitent les sourires dans tes mots très imagés et pleins d’humour.
    Merci pour ces partages toujours très agréables.
    Bises à vous deux et bonne soirée

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  10. j’adore ce genre de petits cailloux 🙂
    Bravo madame Evelyne! chapeau bas!

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  11. Merci

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  12. Heureusement qu’il y a la traduction en PS !
    Ce récit me rappelle le jour où j’ai réagi d’une manière parfaitement inattendue lorsque j’ai trouvé des cambrioleurs dans mon appartement… Une colère noire, mode survie, adrénaline maximum ! La peur après… une fois jetée à terre et après que les voleurs aient pris la fuite sans rien emporter.
    Et la fois où une nièce s’est faite dérober son ordinateur portable dans l’entrée de son immeuble, un couteau sous la gorge… Et elle l’a récupéré son ordinateur… en courant après le voleur et en trouvant des gens qui couraient vite dans la rue pour l’aider à courser ce sale type !

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  13. ton récit est plein de tendresse pour cette Dame , Evelyne …qui ne se laissait pas démonter !
    on n’oublie jamais ceux qu’on a aimé …
     » il m’est arrivé un matin alors que jeunette je dormais sur une plage dans ma canadienne de voir un pervers pépère l’ouvrir et me montrer son engin avec manipulation de celui ci ! j’ai hurlé comme une folle et ouf il est parti , quelle chance j’ai eu !  » parce que je n’avais rien pour me défendre !

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    • Alors, ça, ça fout les flubes!
      Tu aurais peut-être avoir quelque chose dans ton tipi, genre surin ou darracq.
      Tu as eu du bol.
      (Précisions Marc : flubes = peur, surin = couteau, darracq = marteau).

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  14. Un sacré personnage cette Évelyne…. J’adore ce genre de personnage, nature, et titi parisien !
    Bises et bon début de semaine

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    annemarieguillard
  15. Quelle chance tu as d’avoir de bons voisins: Mémère Boulin, Evelyne…qui les remplace?
    Pendant une période de travail, la grand-mère des enfants du voisin venait garder les miens. Un jour, les enfants se disputaient pour savoir qui avait le plus grand nombre de grands-mères, et mes enfants ajoutaient la leur dans la liste. « Ah, celle-là, c’est pas à vous, c’est à nous! »

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  16. Sacré tempérament, on n’en fait plus des comme ça, alors je comprends ta peine, mais les gens qu’on a aimés sont toujours là pour nous guider, j’en suis persuadée. Une façon d’accepter en fait…

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  17. Émouvant et truculent portrait.

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  18. Pour Mimi :
    Ton commentaire apparaissait en double : j’ai voulu en supprimer un mais le résultat est que les deux ont été supprimés! je suis désolée,
    Mo

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  19. Superbe histoire et avec l’argot, une belle langue imagée ! ça c’est la vie !!

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  20. Sacrée Evelyne !!! 😀 quel réflexe somptueux 😀 !!!
    Au niveau du vocabulaire, je ne connaissais que le grimpant 😮
    bises à vous deux et merci de ce petit partage de tranche de vie Marc

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    • Gibulène,
      Tu n’as plus qu’à te faire offrir la méthode à Mimile (Alphonse Boudard, Editions du rocher, 12€30)
      Ou étudier un bouquin de Simonin à doses homéopathiques (par exemple : Du mouron pour les petits oiseaux );
      Et après, tu jaspineras l’argomuche les doigts dans le nez! 😉

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  21. Tu sais de nombreuses femmes ont déjà été confrontées à l’homme à l’imperméable. Le phénomène est donc loin d’être banal ! Et puis, les exhibitionnistes ne sont généralement pas des gens dangereux à la différence des violeurs ils ne passent pas à l’acte.

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  22. souvenirs…..ils nous construisent mine de rien
    amitié
    tilk

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  23. Une nature, comme on dit. Un vrai personnage. Comme on en rencotre dans les romans d’atmosphère.On est là dans Zola ou dans Simenon.Tiens, pour le plaisir de rencontrer quelqu’un comme elle, je me mettrais bien à siffler mon kil de rouge. Florentin

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    • c’est vrai qu’elle etait singuliere.. dejà bosser aux Halles à cette epoque, ce n’etait pas dans le feutré…
      mais en fait elle avit un coeur enorme.. et ses poires cuites etaient un regal….
      à l’epqoue je n’avais pas encore droit au ballon de pif…!!!

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  24. J’ai adoré ce texte
    Merci
    Michel

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  25. Elle me plaît 😁j’aurais bien aimé la rencontrer 😇…. au paradis ou ailleurs peut être 🌹🌷💐

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  26. Bonsoir.
    On peut tout de même se poser la question… Ton meilleur souvenir, c’est ses histoires, son argot ou… le ballon de pif !?!

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    • Ah non, le ballon de picrate je n’y avais pas encore droit..mon père m’avait dit
       » tu boiras du vin quand tu seras plus grand que moi.. ».. il n’ était pas très grand et j’ai pris 10 cm vers ma quinzième année…
      alors j’ai commencé à boire mon vin sans eau.. et depuis.. à part dans le Casa..!!..

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  27. Savoureux !… Et excellent conseil, « La méthode à Mimile ».
    Les temps ont bien changé. 😉
    http://gehem.over-blog.fr/2015/09/rentree-scolaire.html

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  28. Merci pour la petite histoire de ce sacré personnage, et pour cette tranche de ta vie…

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  29. Hummm un 14 juillet qui donne envie avec ces poires cuites 😉

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  30. ben elle aurait quand même pu lui tataner les roubignoles

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  31. Bonjour
    Une sacrée bonne femme!
    Merci pour la signification de ton argot!
    Pour répondre à la question, en effet, j’adore les chevaux!
    Bisous

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  32. Bonjour Mo
    J’ai bien ri avec ton récit de l’exhibitionniste ayant reçu un coup de goumi sur la calbombe par Evelyne et qui s’est retrouvé les fesses à l’air , le pantalon sur les pieds .
    Quel spectacle .
    Mais heureusement que tu as mis la signification des mots d’argot .
    Bises

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  33. Vrai de vrai j’ ai bien rit en lisant ta petite histoire , mais dis moi c’est pour de vrai ou c’est tiré d’un roman ? car je dois bien l’avouer tu as le don d’écrire et de conter surtout , en fait j’adore cette histoire de grand-mère et de voisinage ….

    Merci à Mo pour toutes ses gentilles visites c’est super , chacun discute avec l’autre et je suis charmée par vous deux .

    A bientôt , gros bisous marseillais sous le beau temps enfin revenu (je crois ha ha ha) .
    Renée (mamiekéké).

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  34. Que de souvenirs ! Et merci pour le petit lexique… Chris

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  35. En réponse à ton com. Je ne suis pas opposé à la liseuse électronique. Comme toi, je l’emporte surtout quand je voyage. Pas besoin alors de remplir les sacs de bouquins. C’est lourd et ma douce bougonne tout le temps. Je chiffonne ses frusques. paraît-il. Da,s la salle du toubib, non merci. Je n’y lis pas. Je stresse en attendant le diagnostic et .je n’arriverais pas à me concentrer. Mais, au total, j’avoue, j’aime mieux mes bouquins papier, même quand ils font voler la poussière …Bises amicale et à plus. Florentin

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  36. RIP… mais quelle belle et sympa histoire – bravo à Mr Marc! 🙂
    * * *
    amicales pensées, bonne semaine & à+!

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  37. Coucou, j’ai bien aimé ce récit émouvant plein d’émotion qui ravive des souvenirs de grand-mères comme la mienne l’a été, parisienne. Je l’appelais mémé tartine tant elle me faisait rire et me racontait des histoires comme celle-ci mais du vécu aussi car elle n’avait pas sa langue dans sa poche. Elle me manque tellement cette mémé d’amour.
    L’argot était son point fort je ne sais pas d’où elle tenait cela mais du fait qu’elle avait travaillé en usine je pense qu’à l’époque c’était plus enclin. Merci pour ces merveilleux souvenirs et contente d’avoir rencontré ton blog. A bientôt bonne journée

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  38. Ah oui ma venue hasardeuse c’est en lisant le titre Evelyne c’est mon prénom…

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  39. Quel plaisir de découvrir ce texte qui nous happe et nous tient jusqu’à la fin…
    Nous entraîner dans ces souvenirs anciens et nous faire remonter le temps avec pourtant cette impression de vivre l’anecdote qui semble se dérouler devant nos yeux.
    Belle découverte faite en passant grâce au blog de Mamikéké.
    Au plaisir de lire d’autres jolis textes…

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  40. Bel hommage. Bises. C&B

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