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C’était il y a bien longtemps..
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du temps où Mo et moi, mollets d’acier et triceps d’airain, passions le plus clair de nos vacances en montagne.. l’été à crapahuter à la recherche de minéraux.. l’hiver, les skis aux pieds dans des randonnées le sac sur le dos .. et le soir dans ces gites où l’odeur des chaussettes humides se mêle à celle des corps lavés plus que sommairement.
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Pour nous rendre sur le lieu de nos exploits, nous prenions le train de nuit direction Briançon, descente à Gap…
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Un de ces trains aux compartiments de huit places ornés de photos locales avec un couloir étroit où deux sacs à dos ne se croisent pas.. ou alors au prix de contorsions et de politesses de voyageurs unis dans cette fraternité du randonneur aux grosses godasses d’un quintal, lacets rouges sur crochets .. et bien sûr.. la gourde en alu qui brinquebale sur le côté..
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Donc, une nuit où nous partions.. l’occasion étant donnée d’aller griller une gitane dans le couloir.. le nez sur la buée.. l’oeil cherchant la lumière d’une absence de paysage.. je me retrouvai en conversation avec un homme qui aurait pu être mon grand-père.. mais qui avait l’oeil plus bienveillant..
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La conversation glissa imperceptiblement vers le monologue .. et cet homme me parla de sa guerre.. celle de 14, la Grande comme on dit .. pourquoi la Grande?.. au nombre de belligérants, de morts.. celle d’après ne fut pas ridicule.. mais bon..
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Il était pilote de chasse, celle de la légende.. celle des as des as.. du Baron Rouge..
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De son portefeuille un peu fané .. il me sortit un document qui portait.. outre son nom.. la mention manuscrite : « Brevet de conducteur d’aéronef N° 13 ».. Eh oui.. je me souviens de ce moment.. brevet N° 13… déjà le nombre en lui-même pourrait effrayer certains.. mais ce nombre si petit, si réduit.. ce vieux monsieur appartenant à la genèse.. au début.. aux héros..
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Et toute la nuit.. il me parla.. me parla de ses peurs.. ses yeux s’embuèrent un peu quand il parla de ses camarades tombés au combat.
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Nous étions dans le présent. J’imaginai sans peine combien ce fut dur.. inhumain.. il me raconta l’histoire du fils d’une grande marque d’apéritif qui.. pour gagner une permission.. retourna en vol quêter une victoire .. pour pouvoir retrouver la danseuse dont il était amoureux fou.. eh oui, une victoire donnait une permission. Hélas, il ne put revoir son amour..
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La nuit se déroula pleine de souvenirs.. de longs silences songeurs.. que je n’aurais interrompus pour rien au monde.. afin de ne pas briser ce petit fil qui remontait dans le temps.
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Le jour se pointait quand il descendit à Veynes.
On s’est serré la main.. longuement.. Il m’à dit : « Je ne sais pas pourquoi je vous ai raconté tout ça.. je ne l’avais jamais raconté à personne ».
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Un instant, j’ai pensé.. « son nom.. son téléphone ».. histoire de lui dire que j’avais été ému.. lui témoigner un remerciement..
Je pense souvent à ce vieux monsieur.. oh, je dis vieux.. maintenant que je m’y dirige, finalement, il n’était pas si âgé..
Maintenant il a du disparaitre.. je ne peux même pas dire son nom.. qui n’a pas été gravé sur une stèle.. il ne lui restait que ses souvenirs et son brevet N° 13..
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Va savoir pourquoi c’est à moi qu’il a donné ses souvenirs.. ses bribes de vie, mais je pense encore à lui aujourd’hui.
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Billet écrit par Marc le 11 novembre 2014.
Les hommes étaient de vrais hommes à cette époque ! Mais que sont donc de vrai hommes, des gens qui partent se faire tuer ? En tous les cas, ils avaient aussi un vrai coeur… Jolie histoire bien racontée !
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Avons-nous perdu certaines valeurs?
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Quelle plume ! Quel beau partage de bienveillance, pourvu qu’il reste encore des hommes et des femmes qui sachent écouter et partager comme toi…
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Marc a toujours eu une bonne écoute même dans le boulot et un regard qui inspire confiance.
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Cet homme devait voir en toi le futur rapporteur de ses confidences, et il avait donc raison!
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Il était perspicace…
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C’était pour que quelqu’un au grand coeur transmette son histoire …
Nous avons tous une pensée pour ce monsieur et ses compagnons .
Merci de cet émouvant partage .
Bizzz à tous les deux
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Les circonstances ont fait que…
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des conversations enrichissantes .. des gens qui ont pris le temps de discuter
on savait se parler avant
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Il n’y avait pas autant de TV et les trains avaient des couloirs…
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J’ai retrouvé dans mes archives un livre de Jacques Mortane, journaliste en 1914, intitulé: »leur dernier vol ». Ma fille l’a scanné sur un blog:
http://sab1703.blogspot.fr/2013/04/jacques-mortane-leur-dernier-vol.html
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Superbe!
As-tu lu le livre « Paroles de poilus » ou « Le pantalon rouge »?
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Non, je n’ai lu que celui-là. Il me vient d’un lointain cousin qui voulait devenir aviateur et qui a fini garagiste. J’en ai un autre mais je ne le lirai jamais. C’est trop impressionnant.
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Et dire qu’aujourd’hui il aurait passé la nuit à te parler de son atterrissage sur les comètes……
Merci Marc et Mo et la Grosse Bertha….
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Marc : « Sans doute, mais je n’aurais plus fumé de gitane! »
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On se confie quelquefois plus à des inconnus qu’à un ami , c’est souvent plus facile …y’a qu’à voir chez les blogueurs
un souvenir encore très bien conté par ton cher et tendre Mo !
du coup je suis allée me renseigner sur le Baron Rouge
Alors vous voyagiez dans ma contrée !
Bonne soirée à vous 2
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C’est une bonne observation, Juliette.
C’est vrai aussi que nous avons fréquenté le Queyras durant de longues années.
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La subtilité humaine de nos souvenirs d’instants …
Partis en randonnée, nous voila emmenés dans les airs 🙂 magie. Je l’imagine reparti une fois de plus à la chasse à la perm’.
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😉
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Rose land…
Le bleuet, le coquelicot…
Ces deux soldats… moi aussi j’ai pensé à eux ce jour là.
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La rose et le réséda…
(poème connu, bien sûr…)
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Tu es très inspirée je trouve…
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Rose land…
Oui, il y avait aussi des soldats musulmans morts pour la France…
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Marc a très bien fait de retranscrire cette histoire.
Et merci à ce Monsieur pilote ; maintenant c’est raconté et entendu .
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https://encrypted-tbn3.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcReNoq-K4XpOjoB11qHrQmckQ-jxjQXtxt55MIJJ4A0-94AhIXu
Et compris pour ma part, du moins je l’espère 🙂
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Un bel hommage à un héros malgré lui. La Grande Guerre, qui devait être aussi la der des ders… On sait ce qui a suivi. J’aime l’Histoire et qu’est-ce que j’aurai aimé entendre des récits de poilus de leur vivant ! Il me reste leurs textes, c’est toujours ça. Merci pour ce partage.
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Eh oui, ne pas oublier ces gens-là…
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Un si émouvant récit de ces moments d’exception partagés et un bel hommage à cette date particulière… merci, Marc
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Marc te remercie…
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Belle hommage à ce monsieur, merci.
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Oui, n’est-ce pas?
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C’était il y a bien longtemps, maintenant Mo et Marc, se promènent tranquillement sur les plages Bretonnes……
Rencontrent-ils des gens aux histoires aussi émouvantes ?………………………
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Non, pas vu de poilus sur les plages bretonnes, mais on y retrouve encore des obus de la 2ème guerre mondiale!
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Il y en a qui ont de la chance de rencontrer de telles personnes. Les fantassins décrits par Genevois dans, « Ceux de 14 », les enviaient, les aviateurs n’avaient pas les pieds dans la boue.
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C’est vrai, mais c’est le hasard des rencontres…
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Dans la famille, il y avait un officier dans l’observation aérienne en 1940, il avait photographié la percée de Sedan (au bout de la ligne Maginot), par les chars allemands malgré les prouesses de quelques aviateurs français. Il était rentré en rendre compte au général Huntziger qui commandait la 2ème armée devant Sedan. Celui-ci ne l’a pas cru sur le moment (!), mais une demi heure après, il paraît qu’il était blanc comme un linge, et venait de comprendre que toute l’armée française était enfoncée. Le même officier d’observation était reparti et avait constaté (de haut), que certains responsables d’unités de fantassins, abandonnaient leurs hommes en fuyant en voiture, devant le rouleau compresseur allemand.
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Et en 14-18 certains responsables n’ont JAMAIS abandonné leurs hommes dans les tranchées. D’où mon commentaire précédent. Mais je ne peux pas en dire plus ici.
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Dans le livre de Genevois, « Ceux de 14 », on voit très bien la solidarité des officiers (à partir de capitaine/lieutenant) avec la troupe. Ils sont dans le même (effroyable) bateau.
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N’ayant pas vu les deux trolls sur ce blog, maintenant j’interviens en tant que Burntoast.
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Comme je ne vais jamais les voir, ils me rendent sans doute la pareille… 😉
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Ils n’ont pas grand monde chez eux de toutes façons )°
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Si on interrogeait les gens qu’on connait, on trouverait peut-être des souvenirs familiaux surprenants comme les tiens! Je n’ai rien dans ma propre famille, mais le grand-père paternel de Marc était dragon pendant la guerre de 14, c’est-à-dire qu’il chargeait à cheval!
Malgré cela, il a survécu à la guerre et est mort à 86 ans.
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Quel magnifique texte, très émouvant.
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Merci pour Marc
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Un récit très émouvant et si bien raconté .
Bises
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Bises à toi!
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très belle histoire et quelles ambiances que celles de ces trains de nuit. De sacrés souvenirs nous reviennent aussi sur ces parcours là
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Plus on avance en âge, plus on en engrange, des souvenirs…
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Vous étiez au bon endroit au bon moment pour entendre cette histoire !
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Et Marc était peut-être la bonne personne?…
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… sans doute !
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j’ai toujours aimer le ciel et voler passionnée belle journée 🙂
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me revoilà 🙂
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Re-bienvenue, alors! 😉
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🙂 belle fin de soirée
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