La quille bordel!   41 comments

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Il y a un souvenir qui remonte parfois…

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Gare de Lyon3

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… un souvenir du temps où j’étais bidasse…grifton comme on dit dans la bif…moi j’étais gonfleur…un souvenir qui est lui aussi derrière … et que même si je le voulais je ne pourrais plus revivre…c’est ainsi.. On peut stocker des images… mais l’odeur…l’ambiance…

ce souvenir… c’est celui du train de retour de perm… le dimanche soir…à la gare de Lyon…

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Gare de Lyon5

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Vers 21h45… ou  22h00… enfin ces eaux  là…
il y avait  ce que l’on appelait le train poste…le train postal… qui acheminait de nuit le courrier…
préalablement trié gare de Lyon… dans des sacs postaux gris…marqués Poste… comme ceux de Bourvil dans la traversée de Paris… ou ceux de la gare de Troyes dans le Pacha…les sacs   postaux empilés sur les chariots verts bouteille… (Et jaune…!)

Le train postal part de Paris et file vers la grande bleue… Marseille…Toulon… ( mais va savoir si il ne s’arrête pas à Marseille) et dessert chaque gare… délivrant le courrier…comme disait le facteur … dans le midi… vaï… si c’est une mauvaise nouvelle… on n’est pas pressé de la connaître… et si c’est une bonne…peuchère…on a bien le temps…

Donc…on arrivait à la gare de Lyon… en uniforme… mais en uniforme ou non… la prévôté avait ce sens affûté des prédateurs…pour repérer le permissionnaire de retour…et venir lui demander sa perm… ce blanc seing  sur feuille marron… tamponné de rouge…qui outre un droit de liberté…permettait d’acheter à prix réduit un billet de seconde…(imprimeries Duvauchelle…!!!)
et la prévôté avait l’œil… en uniforme peu de mérite…mais en civil…était-ce l’heure…la coupe de cheveux… le sac de sport écossais  bourré de bouquins … de slips propres et de  boites de thon et de sardines… va savoir…ou l’instinct  … le sens du chasseur… en tout cas… y’avait intérêt a être propre…pas bruyant… et saluer règlementairement… les doigts bien joints… sur le calot que l’on tolérait non réglementaire ( mais acheté au foyer) avec un aigle un peu plus agressif que celui dit du calot de base…donc le train postal… le long du quai… portière ouvertes… compartiments de seconde… les autres bidasses… la bif.. les  »chient dans l’eau. »… la légion…tout ce qui se trouve au sud…Nîmes…. Salon… Aubagne… Toulon….
Ah  le compartiment… la place près de la fenêtre… le cendrier… le radiateur biaisé où on ne peut même pas appuyer le pied… et les photos noir et blanc au dessus des banquettes… St Jean Pied de Port…  (pas pied de porc…) le port de St Jean de Luz… alors on s’installe… il y a malgré tout quelques civils qui se hasardent à partager le train…mais bien peu…  pas beaucoup de filles seules…les malheureuses…  une fille seule dans un train de permissionnaires…  mais c’est l’enfer pour elle… les plaisanteries…fines… les commentaires… le compartiment se meuble…  profils différents…allures… les valises dans le filet en haut… chacun s’observe… se dévisage…

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Gare de Lyon7

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En général le bidasse seul est transparent…anonyme… impersonnel… et pourtant si il y avait un pépin c’est sur lui qu’on s’appuierait…  pas le droit de vote…mais le droit de  mourir… et pas avec deux trous rouges au côté droit…  la tête dans le ruisseau… non… tout haché à la bombe à billes…   allez…va offrir ton sang pour la patrie… » le drapeau grandit le soldat à l’égal de ceux à qui il a servi de suaire… » oui… je suis désolé…mais il faut avoir du respect pour ceux qui se sont sacrifiés…  il faut penser à eux…z »avaient pas trop le choix…mais il l’ont fait….c’est peut être vieillot et suranné… mais  faut penser à ces gens…

Oui, le compartiment se meuble… on  s’installe sur la moleskine verte…près du rideau qui pue le tabac froid… et on regarde dehors…les gens défilent…c’est libre…?  On scrute espérant  je ne sais quoi …on s’insinue…la valise  énorme dans le filet….dans  le couloir c’est un va et vient incessant dans les deux sens…pardon…pardon… les valises s’entrechoquent… on cherche le numéro de la place…
Un coup d’œil dehors…on avance….? ah non… il… le train d’à côté…ah la relativité…et puis l’annonce…le coup de sifflet… les chocs… ça y est…ça démarre…putain… ce coup là c’est parti… encore 7 mois.. La quille bordel…

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Gare de Lyon8

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Dehors il fait nuit… on passe devant les poste en briques… aiguille numéro 42… on arrive encore a reconnaître le paysage…gare de Lyon… la gare de Villeneuve St Georges…qui passe vite… après
avoir valsé et tangué sur les aiguillages…le train a pris sa vitesse… torom totom…torom totom…
commence le rythme  syncopé… la mélopée du train …le moment  de la rêverie… on laisse l’esprit vagabonder…le temps s’écoule… long…gluant…
Les gens du compartiment  ne parlent pas… chacun bouquine…  le journal du soir…celui qui laisse les doigts noirs…la personne du milieu  s’est levée…  exprime un ‘’pardon’ afin que  ceux près du couloir replient les jambes  pour la laisser passer…  il va pisser ou fumer un clope dans le couloir… le train roule. .. Dehors  c’est un festival de lumières… les appartements…  la vie dans chacun… la lumière et la chaleur rassurante….il y a dans le train quelque chose d’étrange… un peu comme si on était en dehors de la vie…dans chaque ville chaque village…il y des existences organisées … des gens qui vivent…mangent…somnolent… la télé….la soirée en famille… le train les traverse… indifférent…  il passe ….

Les journaux se sont repliés… les têtes s’appuient sur le dossier…chacun cherche la place de son avant bras sur l’accoudoir…avant la question rituelle…  » On peut éteindre..?..C’est le signal… il faut descendre le rideau… cette fois… c’est le début de la nuit…la recherche du sommeil…avec l’index…on peut encore entrouvrir…soulever le rideau coulissant…pour voir dehors …quoi..?? Les lumières…les routes…le paysage avec de moins en moins de lumières…on essaye d’imaginer…voyons…nous sommes partis vers 22h00… il est 23h30… sachant  que le train roule à environ 130 km/h…tiens le certif…  bon on doit être dans l’Yonne….

 

Soudain il ralentit… la somnolence s’interrompt… un panneau sur un édifice aperçu furtivement indique  » la Roche-Migennes… » ah oui…  le train s’immobilise…une voix conforte… la Roche-Migennes …la Roche-Migennes… deux minutes d’arrêt…punaise quel endroit…pourquoi s’y arrête-t-on… tous les trains s’arrêtent à la Roche Migennes…  que se passe-t-il de si mystérieux…et on voit sur le quai des gens qui s’agitent… les sacs postaux s’empilent sur les chariots…ça s’affaire…. ça hoquète… ça bruisse….dans un claquement de portières le  train s’ébranle…  un dernier regard sur le quai…  la casquette du chef de gare avec son bâton à clapet…et le train  reprend son rythme…son battement… torom totom torom totom…

 

Ah trouver le sommeil…  dormir et ne se réveiller qu’à Orange…merde ne pas louper la gare…oui dormir mais rester vigilant…  ne pas louper…putain ne pas louper…la tête s’alourdit… le bercement du train fait son œuvre…. ça cahote…mais on arrive à somnoler…la longue descente vers Lyon…en fait, le sommeil ne vient pas… une petite somnolence… mais  ça n’est pas confortable…on rêve de lit… de couette.. de s’allonger… s’étendre…se pendiculer comme il faudrait dire…et c’est long…long…le compartiment a l’air de somnoler… peu de passage dans le couloir… et le bruit des boggies… torom torom torom torom…la campagne endormie… on voit ça et là quelques lumières…traces de vies…on essaye de lorgner vite les inscriptions sur les châteaux d’eau…ou les postes d’aiguillage…le sommeil gagne… torom torom..torom torom….

Un crissement de freins de roues… de métal…le ralentissement… ça s’affaire dans le couloir…ça bouge…les valises heurtent les parois… Lyon-Perrache…Lyon Perrache… 5 mn d’arrêt.. .hurle la voix  métallique. dans les hauts parleurs…les passagers à destination de Grenoble… Chambéry… correspondance quai numéro 3… Lyon… cette fois c’est la descente… on peut encore somnoler… mais ne pas louper la gare…cette fois… le train devient  omnibus… il va s’arrêter à chaque petite
gare… dans la nuit brouillasseuse…pour jeter un sac… un pauvre gars va veiller… véritable Alexandrie de la ville de Lyon… Feyzin… les plus âgés se souviennent de la catastrophe de Feyzin…. ville martyre de la chimie…  Vienne…. mais aussi… des villages seuls connus des usagers… St Vallier… St Rambert…

 

Et puis petit à petit…  comme en été le chant des cigales…petit a petit…l’annonce se teinte… se parfume…  Taing l’Hermitageu…Taing l’Hermitageu… ça y est… on quitte le Nôrd… on peut encore somnoler…mais la peur de rater la gare empêche le sommeil réparateur….et le train poursuit sa progression saccadée… combien  peut il y avoir de gares…enfin… on touche au  but…. Piolenc… Piolenc…l’avant dernière station… la prochaine est la bonne… il faut se lever…bousculer… se frayer un chemin pour arriver vers la portière…comme par magie… le couloir devient bleu  marine…  des trouffions sortis de nulle part se regroupent…sac à la main.. assis sur le sac….finalement y’en avait des collègues dans le train…

Orange…Orange… la descente…  l’arrivée sur le quai…l’air frais…finalement ça puait dans ce train…
mais là… fait pas chaud… on relève le col…on revisse le calot…et on se hâte vers la sortie… arriver au taxi…un vieux break  Peugeot 404 …aménagé de façon à loger au moins 6 bidasses… et hop sans un mot de plus…direction la BA115… Orange Caritat…petit plus de l’entreprise de transport…. le fréquent chien assis à la place droite près du chauffeur… est remplacé par une  dame  qui contre la  modique somme de 50 francs… propose une petite gâterie propre à ragaillardir le soldat avant le retour monastique à la caserne…charmante… elle interpelle chacun avec un gentil petit nom… heu toi mon
petit mignon…et toi le beau brun…petite activité complémentaire…  et source de gain partagée  pour le chauffeur…

La longue route bordée de platanes… l’arrivée à la base…la guérite où le planton emmitouflé dans sa houppelande de feutre ressemble à  un tableau de Gromaire…eh oui…la base… la marche… les lumières…et l’arrivée dans la chambrée où instantanément…l’odeur prend à la gorge…l’odeur d’un dortoir…la fauverie du jardin des plantes…au loin, derrière la fenêtre… le Ventoux se colore en rose…les étoiles s’éteignent…

Dans quelques instants la petite chèvre de Monsieur Seguin se laissera manger par le loup…
l’aube…une nouvelle journée….

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Gare de lyon1

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197 au jus… putain…la quille  bordel….

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Marc

 

 

 

 

 

Publié 18 Mai 2014 par Leodamgan dans Prose à Marc

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41 réponses à “La quille bordel!

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  1. hahhahahhaah ça devient bon alors

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  2. On les remarquait gare Montparnasse quand ils brandissaient « la quille » en braillant et avec un grand sourire … 🙂

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  3. Mais au fait quelle était l’origine de cette tradition ?

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    • Voici l’explication que j’ai trouvée :
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      La Quille était, à la fin du XIX ème siècle, le bateau ramenant en France métropolitaine les forçats libérés du bagne de Cayenne. Embarquer sur la « Quille » signifiait alors la liberté !
      Dès le début du XXème siècle, la tradition de la quille symbole de libération atteint le monde militaire ; le terme se concrétise par une quille en bois de taille variée.

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  4. Là, va falloir que je prenne le temps de relire tout bien… Je reviens !

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  5. Quel titre ! et quel pamphlet de Marc : Bravoooooooo !
    Et, putain de service militaire de merde ( pour rester dans le ton ) 😉
    je m’étonne que ton époux, avec son esprit contestataire, voir anar , Mo ne se soit pas fait réformer …

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    • Marc s’habille souvent en noir, mais de là à être anarchiste, non…
      Il ne s’est pas fait réformer. Il aurait pu le faire mais comme il pensait devenir pilote de ligne à l’époque et qu’il était souhaitable d’avoir fait son service militaire dans l’armée de l’air pour cela…

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  6. Sacré voyage…

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  7. Pour moi, c’était plutôt St Lazare qui signifiait « home sweet home ». J’ai dû, pendant 3 semaines, fréquenter la gare de Lyon car j’étais en formation à Dijon. Sinon, c’était Chaville Vélizy mon lieu de départ. On va dire que j’étais « planqué » à Villacoublay, ce qui n’est pas vraiment faux.
    😐

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  8. Pour le pacha, c’est la gare de Troyes

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  9. Vraiment bien raconté, je me souviens de ces wagons c’est exactement ça le train des permissionnaires, ma gare finale pour moi c’était Toulon, marine oblige.

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  10. Merci pour les explications sur l’origine de « la quille ».
    Bizzz et bonne journée

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  11. Un plaisir de te lire ,j’ai cru entendre mon papa ,sauf que lui c’était pas le Sud mais la Bretagne
    Merci de ce bon moment
    Amitiés De Normandie Marie-Pierre

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  12. comme toujours Marc nous fait vivre l’émotion de l’intérieur , on s’y croirait ! moi qui suis née à Troyes et habite à 10 kms de Laroche-Migennes , j’ai l’impression de faire partie du scénario ! c’est grisant !

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  13. Magnifique – texte images sensations.

    On se fait une virée en fin de bail ?

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  14. En te lisant, je me suis revue dans un train à compartiment, et j’ai même eu les odeurs!

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  15. Marc a un vrai talent pour raconter ses souvenirs et on rentre dans son histoire .
    Bises

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  16. Comme un voyage au bout de la nuit…

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  17. souvenir… pas d’armée, mais de train, je le prends beaucoup, j’adore ça, et ceux la, ça tournait à l’aventure pour traverser la France!!! St Emilion, on y va se balader; mais le vin…on vit au milieu des vignes et des chais, et je n’aime que le rosé! gros bisous Mo. cathy

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  18. 12h de train, un train bondé. Dormir debout appuyé sur le sac.

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  19. Bon week end 😉

    :mrgreen:

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  20. Quel voyage… j’étais toute petite, mais je me souviens de ces soldats qu’on voyait dans les trains, et les odeurs de ces mêmes trains, une brassée d’enfance tout à coup…

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  21. Oups j’ai un wagon de retard ! Je n’ai pas connu le service militaire et sa fameuse quille, mais après ce délicieux voyage en train j’ai l’impression que mes bagages sont plus lourdes d’une expérience nouvelle ! C’est super bien écrit et on s’y croirait vraiment ! 🙂

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