Archives de 21 Mai 2011

Mon paradis perdu   19 comments

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Il y avait dans le temps


un endroit.. connu de beaucoup d’initiés..qui y communiaient en secret…

mais qui était un lieu de perdition.. de rêve..

un repaire paradisiaque.

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Oh non il n’était pas habité

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par des créatures .. comme les gueuses du Walhalla..

succubes  au corps à peine voilé guettant goulument le chaland

égaré.. le guerrier mort l’épée à la main..en hurlant Odin..

( comme ce vieux Kirk Douglas au Fort La Latte..)

un lieu de débauche pour nantis ( oui, je sais, c’est pas le moment..) réservé à une frange d’initiés..

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non.. mieux que cela.. le phantasme à l’état pur.. le rêve..
un monde solipsiste..

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le sous sol du magasin deux de la Samaritaine..

le rayon bricolage…

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les créatures qui vous y accueillaient étaient le plus souvent des hommes en blouses grises..

compétents et attentionnés..

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Et les quelques créatures du sexe féminin qui y vivaient

n’avaient rien de comparable avec celles parfumées..maquillées ..miches serrées et la bouche en cul de poule..

au regard un peu méprisant de celles qui officiaient au rayon parfum..

dans un autre magasin. .. à la lumière..

celles là étaient compétentes, efficaces..professionnelles..

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Là..le monde troglodyte.. vous recevait..

vous immergeait dans une fraternité de connaisseurs..

un brouhaha discret.. comme dans un lieu saint..
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certes..il fallait savoir qu’au sol..les bandes de couleurs

étaient le fil d’Ariane des autres magasins..

le bleu pour le numéro 3..le jaune pour le 1..

mais l’initié savait.. et circulait là dedans

comme un saumon revenant sur son lieu de naissance..

aller à la vaisselle sur le demi étage..pas de problème..

à l’oisellerie au dernier étage..aucun souci..

cet endroit était la cour des miracles.. on y trouvait tout..

et même des choses que l’imagination la plus débridée n’aurait oser inventer..

le plaisir malsain de plonger sa main dans la boite de vis de huit..

ou de boulons de douze..

des boites comme celles des grainetiers..

ou du marchand de bonbons qui officiait à la porte…

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Partout des casiers en bois patinés par les attouchements..

dans lesquels on versait des cartons de vis. de clous.. d’écrous et de boulons..

différentes tailles ..modèles..

et on achetait au poids.. le tout mis dans une enveloppe sac en papier kraft marron

tamponnée     » La samaritaine    »

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ah certes.. ça n’a rien à voir avec le  » blister  » d’aujourd’hui..

cette saloperie en plastique épais qui protège la vis en alliage alumino galvanisé..

sans doute fabriquée je ne sais où.. ( et taisons le..)

et dont la robustesse est celle de la guimauve un soir de fête à Neuneu..
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non..là,  elle s’était laissée palper, la vis,  ..étreindre.. estimer..

en fait.. le magasin avait confiance..

et c’est vrai qu’aucun des communiants n’aurait oser en mettre une poignée dans sa poche..

ça n’était pas de mise dans la confrérie..

sans doute quelques hérétiques se sont livrés à ces jeux pour assouvir une pulsion kleptomane..

mais chaque habitué.. avait le regard réprobateur.. intense..

il convenait de fixer intensément le contrevenant..
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ah le sous sol du magasin deux.. que de temps y ai je passé..

avec le plaisir suprême de donner des renseignements aux nouveaux prosélytes..

il suffisait d’être en veston ( comme on disait à l’époque) et n’avoir aucun sac ou autre sacoche..

pour passer pour un chef de rayon..

le couronnement suprême était de donner un renseignement sur un objet difficile à dénicher..

un bouvet..?? oui monsieur.. sur votre droite là bas.. derrière les forets..

le bloc moteur Peugeot..oh monsieur.. en 500 watt il sera un peu juste pour le 12mm dans le béton..

il vous faut directement la 1200 Watt..
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eh oui.. que de souvenirs dans ce lieu..

que de rêves de pavillon..de bricolage.. d’atelier bien rangé…

Il y a des coins dans Paris.. où je n’ose plus retourner.. je n’ose plus ..

c’est trop d’émotions de voir ce qui est arrivé..comment tout a changé..

oui, je sais, c’est le progrès..c’est inéluctable…

mais trop de choses remontent.. sans doute aussi la secrète douleur d’avoir perdu sa jeunesse..

Je ne sais pas ce que sont devenus les vendeuses et les vendeurs..

mais je les remercie..

ils aimaient leur métier.. ils étaient compétents et serviables..

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 Vendeurs de la Samaritaine

sous-sol du magasin deux..

merci..

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Marc

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Publié 21 Mai 2011 par Leodamgan dans Prose à Marc

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